Au service du comte de Toulouse
Après avoir participé à la conquête de Majorque auprès de son suzerain Jaume Ier, Olivier de Termes retourne un court temps sur ses terres (la donation des droits de pâture sur ses possessions en Termenès en faveur de l'abbaye de Fontfroide d'octobre 1230 en atteste).
Nous allons ensuite le retrouver de nouveau au service du Comte Raimond VII de Toulouse. En Provence, précisément à Marseille, où Olivier fait partie de l'armée du Comte de Toulouse mobilisée contre le comte de Provence. Celui-ci était en conflit avec les habitants de la basse-ville, et les assiégeait, mais l'arrivée de la troupe du comte de Toulouse provoque sa fuite.
Le 7 novembre, les consuls et habitants de Marseille décident de changer de seigneur... Réunis en congrès, ils rendent l'hommage à Raimond VII au cours d'une cérémonie où Olivier de Termes est cité parmi les membres du conseil du comte de Toulouse.
Cet épisode s'inscrit dans une longue lignée de conflits dans les villes, entre les divers pouvoirs : seigneuriaux, ecclésiastiques, ou communaux, au gré des circonstances et des alliances changeantes.
Ms 493, folio 37v, Dijon
Un extrait de vue moderne de Marseille. Source.
L'essor urbain médiéval, les pouvoirs communaux
Les XIIe et XIIIe siècles sont l'époque d'un essor économique et urbain pour l'Europe de l'Ouest. Le climat propice a aidé, et les périodes troublées et de conflit n'ont que peu réfréné cette tendance générale.
Des catégories de population enrichies vont s'organiser afin de défendre leurs intérêts. Les pouvoirs "traditionnels" en main des seigneurs ou de l'église vont être confrontés à la concurrence et au succès de modes d'expression politiques innovants. La chose est moins popularisée que "la démocratie Athénienne", mais cette période du moyen âge voit dans les villes des modes d'exercice du pouvoir qui s'approchent des principes du gouvernement représentatif. L'appartenance à une communauté, une commune, trouve son expression dans diverses formes que l'on peut nommer le "mouvement communal", établissant des "libertés urbaines", des "consulats", etc...
Si Béziers en 1209, ou Avignon en 1226, optent pour la résistance face à une armée entière, c'est notamment dans un souci de défense de ces prérogatives et libertés obtenues de haute lutte.
Les événements Narbonnais des années 1234-1236 sont bien entendu particuliers, mais à observer et analyser avec cette grille de lecture. Une partie de la population de la ville rejetant le pouvoir de l'archevêque, ressenti comme injuste.
Narbonne n'a pas de consuls, au contraire de Toulouse
(image d'illustration, XIV°, les capitouls de Toulouse)
Extrait de la carte du diocèse dressée par Guillaume Lafont pour Monseigneur le Goux de la Berchère, 1704, AMN 1 Fi 115 Ce plan avec fortifications modernes donne une idée de l'importance équivalente des deux quartiers antagonistes de la cité (NE) et du bourg (SO).
Narbonne au début du XIIIe siècle
Fille de Rome à l'antiquité, la ville de Narbonne n'a pas subi de dépeuplement, mais son importance relative a décliné suite à la chute de l'empire romain. Les habitants du noyau antique ont transformé leur ville au gré des siècles, ce qui explique l'absence de vestiges antiques monumentaux.
Ce cœur de ville, au nord-est du fleuve Aude (actuellement canal de la Robine) accueille à l'époque médiévale les résidences de pouvoir : celle du Vicomte, celle de l'archevêque. C'est "la cité". Habitée notablement par les proches de l'archevêque et du vicomte.
La rive sud-ouest a vu le développement du quartier nommé "le bourg". Avec son marché, c'est plus particulièrement le lieu de résidence des commerçants et artisans, quand "la cité" a plutôt une fonction administrative.
Cette division sociale de part et d'autres du fleuve Aude s'est accentuée au XIIe siècle, créant des communautés distinctes et rivales. Le phénomène de la dissidence religieuse trouve un terrain bien plus propice dans le bourg. Peu nombreux, les cathares sont attestés dans le Bourg, et n'étaient pas inquiétés jusqu'en 1234.
Le tribunal de l'inquisition
L'église catholique crée la fameuse inquisition en février 1231 par la bulle Excommunicamus du Pape Grégoire IX, dans le cadre de la lutte contre les hérétiques, spécifiquement en Albigeois.
C'est une tribunal d'exception, permanent, dont l'objet est la défense de la foi. La charge de cette institution est confiée aux Dominicains ou Frères Prêcheurs, avec la volonté de faire primer rigoureusement le droit, au sens du droit canon, au nom du Pape.
La procédure d'enquête (le latin inquisitio signifiant enquête, recherche, est à la racine du mot), avec l'apport de preuves, témoignages consignés, et d'aveux, va dans le sens du refus de l'arbitraire et des "débordements" que le Languedoc a connu lors de la Croisade albigeoise, avec des bûchers organisés de façon expéditive.
Pour autant, il s'agît bien de pourchasser et punir la pensée considérée déviante. La mise en place des juges et enquêteurs rencontre dès lors des résistances... à l'image de ce qu'il se passe à Narbonne en 1234-1236.
Le Pape et l'inquisiteur, peinture de Jean-Paul Laurens en 1882.
Une "guerre civile" ?!
Une ville, mais deux quartiers antagonistes... et un conflit qui, loin d'un simple "fait divers", prend de grandes proportions, avec aussi la participation de quelques grands personnages.
Le déclenchement de cet épisode est lié au zèle et à l'action de frère Ferrier, l'auxiliaire de l'évêque Peire-Amiel, en charge des premières enquêtes inquisitoriales...
Selon les consuls du Bourg, frère Ferrier et ses collègues...
"n'observent pas les règles canoniques, confisquent les biens des innocents, mettent à mort secrètement dans l'intérieur des prisons, adressent aux accusés, simple gens sans instruction, des questions captieuses sur des points controversés de philosophie et de théologie, par exemple la nature de l'âme et le moment de la naissance, et les condamnent s'ils se contredisent. Ne tenant aucun compte des canons du concile de Toulouse, ils agissent suivant leur bon plaisir et sans règle..."
En savoir plus sur le concile de Toulouse : LIEN.
L'arrestation du suspect de trop : Raimond d'Argens
Quand en mars 1234, Frère Ferrier débusque et fait arrêter un hérétique dans le bourg, puis un second suspect du nom de Raimond d'Argens, se déclenche le conflit. En effet, le susnommé était membre d'une confrérie d'artisans qui avait pour but le secours mutuel de ses membres. Et ainsi... la confrérie alla libérer Raimond d'Argens.
A la suite, l'archevêque et le Vicomte décidèrent de procéder à nouveau à l'arrestation de quelqu'un qui entre-temps fût, avec ses confrères, excommunié*. Accompagnant eux-mêmes leurs soldats, ils furent bloqués et durent fuir devant les hommes de la confrérie d'artisans.
Les essais d'apaisement de l'archevêque restèrent vains, et le 24 mars, il décide de jeter l'interdit* sur le Bourg ! Dans la foulée, il écrit aux archevêques, évêques, barons et conseillers du roi pour leur demander leur aide, et particulièrement contre Olivier de Termes et Géraud de Niort...
"ennemis de la foi et protecteurs des hérétiques'"
Olivier de Termes, Géraud de Niort, ennemis de l'archevêque
La qualification "d'ennemis de la foi et protecteurs des hérétiques" pour Olivier et son compagnon faydit s'inscrit dans les évènements à Narbonne, mais fait aussi référence à quelques conflits temporels passés et en cours. L'aspect religieux est présent, il est particulièrement mis en avant par les hommes d'église, mais recouvre les rivalités entre possédants.
S'agissant d'Olivier de Termes, membre d'une famille ayant souvent été en conflit avec des institutions d'église, par exemple l'abbaye de Lagrasse, il faut mentionner que le différend porte précisément sur la possession des dîmes du Termenès et du village de Dernacueillette. Mais il n'a pas été désigné lui-même comme hérétique.
Géraud de Niort, est lui issu d'un lignage seigneurial bien plus ouvertement hérétique (Voir le développement au sujet des Niort). La famille des Niort est en conflit avec l'archevêque de Narbonne pour diverses possessions qu'ils ont en partage en Haute-Vallée de l'Aude et pays de Sault. Plus grave : en 1232, le clan des Niort, avec Géraud, commande une troupe qui attaque le convoi de l'archevêque Peire-Amiel. Ce dernier est blessé, humilié, une partie de ses biens, chevaux, hommes, emmenés par la troupe des Niort.
Ainsi, tout en se faisant vraisemblablement rétribuer pour le service militaire qu'eux et leurs hommes apportent aux gens du Bourg, Olivier et Géraud ont là l'occasion de poursuivre leur confrontation avec leur ennemi.
Le village de Dernacueillette, début XXe siècle, carte postale ancienne.
Une bataille, Bible de Maciejowski.
Clarifions les faits point par point :
Le retour à la paix, le retour de l'inquisition, le rôle de Raimond VII de Toulouse.
Les troubles vont ainsi prendre fin suite à l'implication du comte de Toulouse, lequel se prétend suzerain (assez théorique !) de Narbonne. Mais ce dernier est pris par ses engagements auprès de l'Église et du roi de France (qui lui, depuis 1229, est bien un suzerain de Narbonne).
En 1236, Raimond VII n'est pas en position favorable pour affronter l'Église et le roi. Il doit donc transiger, calmer les ardeurs chez les faydits. Les habitants du bourg vont devoir se résigner à voir le retour de l'inquisition. Car tout comme à Toulouse, où des troubles liés au travail de l'inquisition se produisent en parallèle, les pouvoirs urbains vont devoir négocier et céder du terrain, face à l'argument supérieur de la lutte contre les hérétiques.
Un argument parfois "bien pratique" et qui n'est pas contradictoire avec la manipulation des faits... mais c'est une autre histoire !
Toujours est-il qu'à la fin, l'inquisition peut poursuivre son ouvrage, et que quelques meneurs vont devoir répondre de leurs actes face à la justice royale et la justice inquisitoriale. Il en va ainsi des membres de la famille des Niort...
Jean-Paul Laurens, L’Agitateur du Languedoc, 1887
La famille seigneuriale de Niort
Ce lignage seigneurial mérite une focale car nous avons là des "champions" méridionaux de la lutte contre la croisade et l'inquisition. Connus des historiens et passionnés, les seigneurs "d'Aniort" ou Niort, ne le sont que trop peu du grand public... probablement en raison de la non mise en tourisme de leurs forteresses, ruinées, inacessibles, ou disparues : Castelpor, Niort, Able, Montréal, Laurac... éparpillées dans l'historique région du Razés, surtout en Pays de Sault et Lauragais.
Les membres de cette famille sont cités dans de nombreux épisodes historiques liés à la lutte contre l'hérésie cathare, du déclenchement de la Croisade Albigeoise en 1209 jusqu'à la toute fin des opérations militaires... en 1255, en même temps que la prise de Quéribus ! En passant donc par la "guerre civile de Narbonne en 1234-1236.
Et... leur rôle et poids est notamment connu en raison des enquêtes inquisitoriales menées à leur encontre. Géraud, mais aussi ses frères Bernard-Othon, Guillaume, Raimond... ont été élevés dans la pratique d'une chrétienté "cathare". Bien qu'échappant au bûcher, ils furent, au contraire d'Olivier de Termes, condamnés à la prison perpétuelle.
Un lien pour en savoir plus (voir ensuite les fiches de chaque membre) :
Le paysage actuel depuis le château de Niort-de-Sault
Jcb-caz-11, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
Le site actuel du château de Niort.
Phineas1520, Public domain, via Wikimedia Commons
En 1236, Olivier de Termes participe pour le Vicomte Joffre de Rocaberti à une guerre privée contre le comte d'Empuriés (région de Figueres). Il est accompagné par d'autres faydits : Guilhem de Minerve et Chabert de Barbaira. Lors de ces évènements-là, Olivier est encerclé et capturé. La rançon de sa liberté ? 8000 pièces d'or !
Les "guerres privées" ?
Un trait de caractère de la période médiévale est, en l'absence de pouvoir juridique central fort et reconnu de tous, la légitimité longtemps donnée au droit de se faire justice soi-même.
Ainsi, les seigneurs et chevaliers pratiquaient le plus naturellement du monde diverses formes de vengeance, de vendetta, de brigandage, rapt et autres rançonnage.
Un développement en lien avec Olivier de Termes est là :
Castelló d'Empuries : chef-lieu d'une plaine, d'une région où Olivier de Termes se fit capturer. Alberto-g-rovi, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
Amadouer les inquisiteurs...
Au printemps 1237, la justice inquisitoriale condamne Géraud de Niort et une bonne partie de sa famille. La justice royale prononce aussi son jugement sur l'affaire narbonnaise le 13 mars : les habitants du bourg et de la cité sont condamnés à se réparer mutuellement les dommages causés. Quelques-uns du bourg devront se croiser pendant un an.
Raimond VII, le suzerain de Géraud de Niort et Olivier de Termes préserve donc visiblement ses propres intérêts avant tout : Olivier de Termes doit composer seul s'il est mis en cause.
Aussi, préventivement, Olivier organise le règlement de quelques litiges afin de se faire bien voir et éviter le sort de son compagnon Géraud de Niort. Cela inclut certainement des dédommagements. Ainsi, le 20 mars 1237, il restitue un certain nombre de fiefs usurpés à l'abbaye de Lagrasse, afin de s'absoudre de ses actes passés, et ceux de ses ancêtres. Idem en rapport avec le monastère de Prouille le 12 juin, auquel il exempte le droit de passage et la faculté de paître sur ses terres.
Surtout, il organise à la suite un compromis afin de régler son conflit avec Peire Amiel, l'archevêque de Narbonne : ce dernier récupère toutes les dîmes qu'il possédait en Termenès ainsi que le château de Denacueillette.
Conséquence ? Pas de prison, pas de confiscations...
Juge laïc renvoyant un clerc à la juridiction de l'évêque
Douai - BM - ms. 0590
Carte postale ancienne de l'Abbaye de Lagrasse.
Olivier, un croisé participant à la conquête du royaume musulman de Valence ?
Après juin 1237, il n'y a, pour 3 ans, plus de sources pour documenter la vie d'Olivier de Termes. Mais divers indices permettent de considérer comme hautement probable sa participation à l'expédition menée par le roi d'Aragon Jaume 1er :
- Olivier de Termes est un vassal du roi et de Nuno Sanç, et doit le service ;
- la participation d'un grand nombre de seigneurs occitans, tels Chabbert de Barbaira, est documentée ;
- le sénéchal de Carcassonne organise un départ pour novembre 1237 ; l'archevêque de Narbonne part au printemps 1238 ;
- dans le cadre du règlement de la guerre civile de Narbonne, la sanction pour les habitants les plus fautifs que compte le bourg a été de justement faire ce pèlerinage armé pour un an, cette croisade, puisque l'assaut sur Valence avait ce critère ;
- et, cela permettrait d'expliquer pourquoi Olivier reçoit du roi de France, par-après, les riches seigneuries de Saint-Nazaire et Sainte-Valière, en Narbonnais !
Comme nous l'avons vu, Olivier de Termes a participé à la conquête de Majorque avec les mêmes compagnons, donc, bien que non documentée, sa participation est très plausible.
Pour en savoir plus sur la conquête de Valence :
Thérèse : la femme d'Olivier
Les années 1230 voient confirmation d'un mariage entre Olivier et donc la dénommée Thérèse. Mais on ne sait que très peu de choses à son sujet.
Il n'y a que 3 documents qui font mention d'elle : son contrat de mariage, le testament d'Olivier (en 1257), et un acte de restitution à l'abbaye de Lagrasse daté de 1237, date à laquelle le mariage devait être relativement récent.
De ces quelques sources, il transparait bien qu'à l'image des autres seigneurs de Termes, Olivier considère que la place de sa femme relève du privé. Elle ne joue pas de rôle public ou politique, et même la gestion de sa dot semble revenir à Olivier plutôt qu'à elle-même.
Des indices, notamment au travers d'un chanson de troubadour, dressent un tableau peu flatteur du comportement de l'homme Olivier de Termes, vis à vis des femmes, bien entendu selon nos critères modernes. C'est le peu que l'on puisse glisser sur le sujet, presque en forme d'aparté...
Chevalier saluant sa (?) femme, illustration.
BNF Français 344 Histoire du Saint Graal / http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6000109r/f698.item
De nos jours...
Narbonne est la ville la plus peuplée du département de l'Aude, avec plus de 55 000 habitants, sur un large territoire communal qui englobe un des lieux emblématiques de la vie d'Olivier de Termes, à savoir l'abbaye de Fontfroide.
En savoir plus est possible avec quelques renvois sur le web :
Benh LIEU SONG, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
Quelques développements sur le web :
- Les ordres mendiants à Narbonne : https://books.openedition.org/pumi/41721?lang=fr
- Raymond VII de Toulouse et son engagement dans la défense de l’orthodoxie. D’excommunications en réconciliations (1229-1249) - Laurent Albaret - https://books.openedition.org/pur/120504?lang=fr
- L’inquisition et les villes du Languedoc (1229-1329) - Jean-Louis Biget - https://books.openedition.org/efr/1838?lang=fr , avec passage au sujet de Narbonne.
- L'élan urbain en Languedoc du Xle au XlVe siècle. L'exemple de Narbonne et de Montpellier. https://www.persee.fr/doc/amime_0758-7708_1995_num_13_1_1272
- Un article de l'encyclopédie Universalis sur les libertés urbaines : https://www.universalis.fr/encyclopedie/libertes-urbaines/
- Le consulat sur wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Consulat_(Ancien_R%C3%A9gime)
- L'odre des frères prècheurs sur wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_des_Pr%C3%AAcheurs