8. Les derniers faydits et le traité de Corbeil - Olivier de Termes, une épopée au XIIIe siècle

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8. Les derniers faydits et le traité de Corbeil
Note sur cette partie :

Cette partie s'autorise quelques développements et longueurs, car nous touchons peut être ici au "sel" de ce travail au sujet du personnage historique nommé Olivier de Termes, et surtout son monde, son époque.

Ces années 1250 forment un moment de bascule historique pour la région qui nous concerne, le dénouement d'un processus qui amène à une frontière séparant de façon tangible ces terres. C'est le dernier acte pour la résistance des faydits qui protégeaient encore les hérétiques cathares. C'est la fin d'une période féodale dans cette partie du Languedoc.

L'aménagement de "nos" formidables forteresses que le grand public connaît comme les châteaux "cathares"  est intrinsèquement lié à ce processus. A l'heure où cette série de châteaux-forts reconstruits par la royauté française fait l'objet d'une candidature au patrimoine mondial, il s'agit de, à l'aide des apports historiques récents, mieux médiatiser et partager les tenants et aboutissants de ce moment d'histoire dans lequel "notre" Olivier joue un rôle.

Parmi les références à consulter pour en savoir plus, nous vous dirigeons donc naturellement vers le travail de Rodrigue Tréton, puisque une large part de ce qui suit s'y réfère.

Enluminure française, fin du XIIIe siècle, Londres, British Library.
La guerre privée avec Chabert de Barbaira

Olivier et Chabert ont souvent été compagnons d'armes, engagés dans une même armée ou troupe. Le fait qu'Olivier de Termes se soumette au roi de France et le suive en croisade en orient semble avoir être reçu comme une trahison par Chabert de Barbaira. Les deux seigneurs des Corbières deviennent visiblement ennemis après 1248.

Il y a là un conflit entre deux personnages historiques emblématiques de l'historiographie des sites du "Pays Cathare" et popularisés par la visite du "dernier bastion de résistance cathare" : Quéribus. Or, la connaissance historique sur la chute de Quéribus en 1255 repose sur quelques lettres non-datées, et qui, avec les autres indices, ont déjà fait couler beaucoup d'encre du fait des divers problèmes d'interprétation engendrés ! (Relisez éventuellement notre aparté sur "la fabrique de l'histoire")

Quand en 1248, Olivier de Termes s'absente pour cause de croisade en orient, ses possessions se voient ravagées par certains seigneurs et d'anciens compagnons faydits : le Vicomte Aimeri 1er de Narbonne, Guilhem de Niort, Bernat Sermon d'Albedun... et donc Chabert de Barbaira.

Quand en 1252 Olivier revient, il se fait lui-même justice dans l'esprit de la faide, la guerre des vengeances. Si l'on suit les déductions historiographiques récentes, le "fameux" épisode au cours duquel Olivier de Termes fait prisonnier Chabert de Barbaira après une embuscade... serait à dater de ce moment-là, en 1252 (Cf le travail de R. TRETON). Avec un Chabert de Barbaira remis au Sénéchal... mais réussissant ensuite à fuir !

"Et ainsi de suite..." Car fin 1254, un document indique que Guilhem de Canet, neveu et pupille roussillonnais d'Olivier de Termes, a subi des dommages de la part de Guilhem de Niort et Bernat Sermon... Donc nous avons là les indices d'un affrontement entre clans, et se prolongeant dans le temps. Et qui participe à la compréhension de ce qu'il se joue en 1255, entre Fenouillèdes et Quéribus en particulier.


Au retour de la croisade, un personnage intouchable

Après une étape à Chypre, où il eût beaucoup de "dérangements" selon les dires de Joinville, Olivier de Termes est de retour en Languedoc début 1255. Nous l'avons vu, il a certainement été quelque peu forcé à partir en croisade, devant affronter le périlleux voyage où la "mauvaise mort" par noyade est une crainte, mais Olivier revient bien vivant.

Les faits que quelques chroniqueurs et témoins tels Matthieu Paris ou Jean de Joinville vont mettre par écrit, sont en parallèle racontés et transmis à l'oral par les témoins également revenus de ces expéditions en Egypte et Palestine. Comme pour le roi de France, et malgré les échecs réels subis, un certain nombre de croisés bénéficient de récits tout à leur avantage. Il en est ainsi pour Olivier de Termes, dont les exploits ont assurément été évoqués dans moultes auberges et tavernes.

Réconcilié avec l'Église, entretenant des rapports plus que cordiaux avec de nombreux dignitaires ecclésiastiques, Olivier de Termes ne fait du coup plus l'objet d'enquêtes au sujet de son passé de protecteur d'hérétiques ou au sujet de ses amitiés et fréquentations parmi les faydits. Il y a quelques allusions dans les sources judiciaires, mais toujours indirectes. Lors des interrogatoires que mènent les inquisiteurs, les témoins ne sont pas questionnés au sujet d'Olivier de Termes : il est devenu intouchable.

Un combat. Image d'illustration.
BL Royal 12 F XIII. The Rochester Bestiary

Chabert de Barbaira a, au contraire d'Olivier de Termes, bénéficié d'une publication de bande dessinée ! Par MOR, aux éditions Aude Aménagement en 1998, dans la série de BD avec les héros Jehan et Armor.
Chabert de Barbaira "le lion de combat"

"Chabert" (ou "Xactbert", entre diverses façons d'écrire son prénom) est donc un (?) autre illustre seigneur faydit de notre histoire au XIIIe siècle. Les avancées récentes de la recherche historique ont toutefois identifié pas moins de 5 personnages du nom de Chabert de Barbaira ! Les biographies habituelles le font naître avant 1190... il aurait alors eu environ 70 ans au moment des épisodes des années 1255. Ce qui est sûr : la femme de ce Chabert là se remarie en 1264 en tant que veuve. Et leurs enfants de se prénommer... Xacbert et Xacberta (!).

En tout cas, Chabert de Barbaira (père ?) est déjà actif en tant que chevalier face aux premiers croisés de 1209-1210, et il semble bien être un croyant cathare. C'est un des plus actifs chevaliers faydits guerroyant en de nombreuses occasions contre les croisés et les hommes du roi de France.
 

Malgré les échecs de Raimond Trencavel en 1240 et de Raymond VII de Toulouse en 1242, Chabert (le père ? ou le fils ??) compte comme Olivier de Termes parmi les faydits restant insoumis. Il se retranche alors en Fenouillèdes ou Roussillon. Quand Pierre de Fenouillet meurt, et que son fils héritier est trop jeune, c'est Chabert de Barbaira qui assure la tutelle du Fenouillèdes. Ce territoire qui forme alors, après la chute de Montségur en 1244, le dernier bastion de résistance des faydits, autour des places-fortes de Puilaurens, Fenouillet, Quéribus...

Pour le grand public, Chabert de Barbaira est associé au château de Quéribus et au contexte de sa reddition en 1255. Un événement que nous évoquons ci-dessous.

Vue actuelle sur Fenouillet. avec à gauche les vestiges du castrum dominant le village, et à droite, le château plus tardif de Sabarda.
Jcb-caz-11, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons

Le fenouillèdes historique et ses lieux forts, plan de Renaud Labadie Savy : capture d'écran de la vidéo ci-contre.
Le Fenouillèdes : le retranchement des derniers faydits

La vicomté de Fenouillèdes est issue de l'ancienne juridiction du Razés et devait donc rentrer dans le domaine français. Mais sa situation à la frontière avec le royaume d'Aragon, sa nature montagneuse, les subtilités des liens féodalo-vassaliques impliquant l'important seigneur Nuno Sanç, cousin du roi Jaume Ier, ont permis à ce territoire de rester à l'écart de la répression menée contre les hérétiques et leurs protecteurs.

Toute une série de seigneurs faydits issus des zones juste au nord sont ainsi venus se réfugier sur les terres de Pierre de Fenouillet, un seigneur ouvertement cathare. Tous résistent le cas échéant aux chevauchées des hommes de la sénéchaussée de Carcassonne.

Malgré la mort de Nuno Sanç en 1242, la situation n'évolue guère pour les faydits. Lorsque le vicomte Pierre V de Fenouillet se retire peu avant sa mort, et que son fils héritier est trop jeune, il organise la tutelle de ses biens par Chabert de Barbaira. Quand ce dernier est en 1246 un temps emprisonné par le sénéchal de Carcassonne, le Fenouillèdes est temporairement mis sous séquestre royal aragonais, géré directement par un viguier du roi Jaume 1er. A la suite, c'est à nouveau Chabert de Barbaira qui assure la destinée du Fenouillèdes, jusqu'à la majorité d'Hugues de Saissac, fils de Pierre de Fenouillet, en 1255.

De fait, le Fenouillèdes est au cœur des rivalités opposant royaumes de France et d'Aragon quant à la suzeraineté haute sur un certain nombre de seigneuries. Quel roi est maître, où ? Une question qui va être réglée par le traité de Corbeil-Barcelone, mais à la suite d'un processus de quelques années...


C'est à partir de 1246 que Jaume Ier organise le peuplement et la fortification de ce promontoire à Opoul-Périllos : le château de Salvaterra. Vraisemblablement en suivant les conseils d'Olivier de Termes et/ou Chabert de Barbaira.
Jcb-caz-11, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
Ci-dessus, un clip avec imagerie 3D permet de visualiser l'essor de Montpellier, ville natale de Jaume Ier. Une cité à laquelle ce roi reste attaché. Un projet de restitution du Montpellier médiéval existe : lien.  Copie d'écran XIIIe siècle :
 

Le revirement politique de Jaume Ier d'Aragon vers 1253-1254

Nous avons naturellement eu l'occasion d'évoquer Jaume 1er lors de l'épisode à Majorque en 1229. Avec aussi la conquête de Valence... le Royaume d'Aragon s'est donc étendu sur la mer et vers le sud. Mais au nord, c'est la couronne capétienne qui au sortir de la Croisade albigeoise a pris quelques avantages aux dépens de la couronne d'Aragon. L'incorporation des anciennes terres des Trencavel au domaine royal français a en effet signifié la perte de suzeraineté du Roi d'Aragon sur la région de Carcassonne et l'essentiel des fiefs -notamment- d'Olivier de Termes.

Plus au nord encore, en 1245, avec la mort du comte Raimond-Berenger, la Provence, jusqu'alors dans la mouvance aragonaise, bascule : Béatrice, l'héritière du comté de Provence, se marie à Charles d'Anjou, jeune frère de Louis IX. La rivalité avec la couronne capétienne augmente encore...

Le fait qu'en 1246 Jaume fortifie certains lieux de sa frontière nord (Château de La Salvaterra à Opoul) et qu'il garde la main-mise sur la destinée du Fenouillèdes (séquestre royal lorsque Chabert de Barbaira est emprisonné par les français) indique qu'il ne souhaite alors rien céder face aux Capétiens. C'est bien avec son aval que le Fenouillèdes a pu abriter les faydits, ennemis du roi de France et de l'Église.

Toutefois, à partir de 1253 la politique de Jaume Ier évolue. Surtout afin d'améliorer ses relations avec le clergé et l'Église. Plusieurs raisons à cela :  
- dans les terres de Catalogne-Aragon, et aussi Valence, des rébellions et des dissensions (notamment avec son fils ainé !) nécessitent des efforts, des soutiens... L'aide de l'Église est recherché.
- Du côté de Montpellier, le patriciat urbain est aussi en révolte à partir de 1252. Afin de se défendre face à une éventuelle répression du roi, Montpellier conclut en 1254 une alliance défensive avec le vicomte de Narbonne (lequel se considère comme suzerain du Fenouillèdes).
- l'evêque de Maguelone, de qui Jaume Ier tient Montpellier en fief, s'apprête à rendre l'hommage au roi de France, ce qui marginaliserait Jaume Ier quand à ses droits sur la ville de sa mère, la ville qui l'a vu naître...

La voie terrestre menant à Montpellier passe par les domaines du pieux Louis IX. Jaume Ier se voit donc obligé de demander le passage avec sa troupe, chose qui ne lui est pas autorisé tout de suite, puis selon conditions. Ces considérations stratégiques deviennent prioritaires, et Montpellier a plus d'importance que le Fenouillèdes aux yeux du roi d'Aragon. Ainsi, dans ce contexte, protéger les faydits n'est plus à l'ordre du jour pour Jaume Ier.

Ainsi, dès 1253 et 1254, Jaume Ier favorise "mieux" les institutions de l'Église en ses domaines au nord des Pyrénées :
- il décide de restaurer les droits du clergé lorsque celui-ci a été dépouillé dans le contexte de la croisade contre les Albigeois ;
- il va désormais permettre à l'inquisition de travailler, la soutenir dans son action.

Pour Chabert de Barbaira, témoin impuissant de ces dispositions... le vent tourne. Qui plus est, Hugues de Saissac, héritier de la vicomté de Fenouillèdes, atteint sa majorité en 1254 : Chabert n'est alors plus le tuteur en gestion de ces terres.



L'aspect du château de Quéribus a énormément changé et les traces et indices du monument de 1255 sont peu perceptibles. Il est sûr que le donjon (adapté depuis au canon) était moins "grand" ou "large"... mais il est autorisé de l'imaginer plus haut ! Par ailleurs, l'accès au rocher lui-même était vraisemblablement défendu par un mur, et quelques bâtiments installés sur la pente au nord-ouest.  

Les défenses naturelles de Quéribus et les probables tractations de reddition ont certainement évité de devoir mener des combats en mai 1255. Cette illustration d'un sergent d'armes assurant simplement la garde convient donc ?
Enluminure de France vers 1230. Morgan M.153 - Psalter-Hours - Folio 090r
 
Dans la droite ligne du changement politique opéré, avec la fin du soutien aux faydits, le roi d'Aragon a nommé deux inquisiteurs pour le Fenouillèdes: Ramon de Trivalls et Pere de Puigxoriguer. Ces derniers entament leurs procédures : par exemple, fin 1254, les habitants de Fenouillet sont arrêtés et interrogés.

Du côté du Perapertusés, acheté en 1239 par le roi de France à Nuno Sanch, la forteresse royale de Peyrepertuse est en train d'être aménagée. Quéribus relève du Perapertusés, mais reste comme nous l'avons vu tenu par le faydit Chabert de Barbaira. Le contexte de 1255 permet enfin au roi de France de s'atteler à la conquête de cette place-forte insoumise.

La prise de Quéribus, le rôle d'Olivier de Termes

Pour le roi de France, que ce soit en considérant qu'il est déjà le seigneur, que ce soit en considérant que ces lieux sont "exposés en proie" au vu du droit canon régissant la lutte contre les hérétiques et leurs protecteurs, que ce soit en considérant que Jaume Ier n'aura rien à redire puisque ce dernier obtient par ailleurs la possibilité de marcher sur Montpellier... Louis IX se voit tout à fait fondé quand il ordonne à Pierre d'Auteuil, son sénéchal de Carcassonne, d'aller prendre Quéribus, et, tout autant, soumettre Chabert de Barbaira "l'ennemi de la paix et de l'Église".

Ce, en s'alliant et en s'appuyant si possible sur l'archevêque de Narbonne, Guillaume de la Broue, et quelques autres... Olivier de Termes est présent... Rentré de croisade, il est devenu un fidèle compagnon du roi de France. Connaisseur des lieux et des hommes, il apporte son expertise au sénéchal et peut conclure sa guerre privée l'opposant à Chabert de Barbaira.

Selon une des lettres du sénéchal, le 5 mai 1255, le siège semble déjà commencé. Une réponse de l'archevêque de Narbonne datée du 8 mai confirme l'envoi d'un contingent afin d'aider à mener cette opération. N'y a t'il eu qu'une courte démonstration de force de la troupe du Sénéchal, suivie d'une tractation et d'un reddition rapide ? Y a t'il eu des combats, l'installation de machines de guerre, le blocage effectif des hommes retranchés avec Chabert de Barbaira ? Les quelques lettres qui font mention de cette opération de 1255 à Quéribus ne le disent pas.

Assurément, si les assiégeants ont fait étalage de leur force et motivation, et ont initié la mise en place d'un mangonneau... les défenseurs se savaient perdus. Aucun secours ou appui politique n'étant plus à attendre, il ne restait que deux issues : la mort ou la reddition.

Aussi, Quéribus est pris suite à une reddition, qui semble relativement rapide (effective vers le 20 mai ?). A la suite, toujours en mai 1255, Chabert de Barbaira signe son acte de reddition. Où l'on apprend qu'il était emprisonné... dans une prison d'Olivier de Termes, avant transfert dans une prison royale. Il propose au roi de se rendre auprès de lui pour se soumettre à sa volonté. Une sortie de prison sous caution, avec deux garants issus de la chevalerie française établie en Languedoc à la suite de la Croisade : Philippe de Montfort et Pierre de Voisins.

Le fait que la captivité de Chabert de Barbaira suite à la prise de Quéribus se soit faite premièrement dans une prison d'Olivier de Termes témoigne indirectement du poids politique voire du rôle militaire joué par Olivier en 1255.

Dans l'historiographie récente, la plupart des auteurs discernent et séparent bien deux faits :
  • une guerre privée avec une embuscade qui amène Chabert dans une prison d'Olivier (en 1252 ?) ;
  • l'opération contre Quéribus en 1255... qui amène Chabert à sortir du château car il se rend... avec un passage dans une prison d'Olivier, avant son transfert (vers Carcassonne ?).

Selon cette chronologie, il n'y a plus ensuite de trace de Chabert vivant.




Olivier de Termes : le "salaud" de cet épisode de 1255 ?
Une certaine "légende noire" accompagne le personnage...

Ce point forme un aparté disponible en suivant le lien qui suit :

Le castrum de Puilaurens est en 1255 également rentré en possesion du roi de France. Le réaménagement s'effectue à la suite. Carte postale début XXe siècle.

Enluminure d'illustration avec deux moines... BL Harley 1527- Bible moralisée, v.2   vers  1225-1250 - Paris, France - British Library Folio  012v-8 Lien.  
Régler le litige sur la souveraineté du Languedoc et de la Catalogne

Le fait d'occuper Quéribus permet à la royauté française de contrôler un des passages importants entre le nord et le sud du secteur des Corbières et du Fenouillèdes : le Grau de Maury. Quéribus est de plus un formidable poste d'observation sur les alentours et les possessions roussillonnaises de Jaume Ier.

L'été 1255 voit s'effectuer la prise de contrôle française sur le Fenouillèdes. Des garnisons françaises occupent y compris le château de Puilaurens. Plus de 10 ans après la chute de Montségur "la tête et le siège de l'Église cathare", c'en est fini des seigneurs faydits et de leur guérilla menée depuis les confins du royaume. Une page se tourne.  

Car en parallèle de ces avancées militaires, dès mai 1255, la diplomatie se déploie : Louis IX envoie alors une lettre à Jaume Ier afin d'organiser un arbitrage amenant à régler leurs différends. Les "outrages" qu'ils se reprochent mutuellement concernent leurs droits respectifs de part et d'autre des Pyrénées. Qui est le suzerain direct, où ?

Depuis 1067 et l'achat des droits sur le Carcassès et le Razès par un comte de Barcelone, les Vicomtes Trencavel et bon nombre de seigneurs Languedociens rendaient l'hommage au comte de Barcelone, puis roi d'Aragon. Or, ces domaines ont été à la suite de la Croisade albigeoise intégrés à la couronne de France... Et il en va de même pour le Fenouillèdes en 1255.

Jaume Ier met en avant ses droits, tandis que Louis IX fait valoir qu'en tant qu'héritier des Carolingiens, il est le suzerain des domaines issus de la Marche d'Espagne... lesquels sont en droit rattachés au royaume de France... mais en réalité devenus autonomes, et constitués en royaume, avec donc Jaume Ier comme roi.

Deux arbitres sont désignés en juin 1255. Il doivent régler le problème dans l'année. Il s'agit d'hommes d'Église : Hébert le doyen du chapitre de Bayeux et de Guillem de Montgri, sacriste du chapitre de Gérone. Lesquels vont bien entendu consulter bon nombre "d'experts" comme nous dirions de nos jours, des juristes, des témoins etc...

Olivier de Termes est certainement partie prenante de ce processus diplomatique. Il monte à Paris dès août 1255 et rejoint la cour du roi de France. Il y retrouve Joinville et assiste à des pourparlers. Olivier de Termes est, en tant que seigneur de la région concernée, un fin connaisseur du territoire et a des liens et des amitiés des deux côtés.

Ce rôle de conseil dû par un noble chevalier à son suzerain-roi est explicite dans un courrier qui relève de ce contexte (datable de 1257) :
 


Au noble, discret et notre très cher dans le Christ Pierre d'Auteuil, sénéchal de Carcassonne [...] nous vous demandons et requerrons par tous les moyens qu'après avoir vu ces lettres, vous convoquiez sans aucun délai Olivier de Termes, et trois ou quatre autres parmi les plus fidèles au seigneur roi à Narbonne, Béziers ou Carcassonne, ou bien ceux que vous aurez pu avoir de plus compétents dans ces lieux, pour que sur cette question, nous puissions recevoir votre conseil et le leur, parce qu'il faut sans retard que le susdit frère Jean aille auprès du roi d'Aragon, de la part du roi de France, en se référeant aux propos tenus par votre conseil [...]

Illustration (en attendant de trouver une image du traité de Corbeil !) : Acte original de la ratification du traité de Paris par Henri III d'Angleterre le 13 octobre 1259. Archives nationales, domaine public, via Wikimedia Commons
Un traité de prime importance, mais méconnu

Comme il est d'usage en de telles circonstances, un mariage scelle l'accord : Isabelle, fille de Jaume Ier, est promise à Philippe, second fils de Louis IX. Un mariage qui a lieu en 1262, et qui suscite apparemment plus l'intérêt contemporain que le traité : cette union est évoquée par le chroniqueur Guillaume de Nangis à la fin du XIIIe siècle... alors que le traité de 1258 ne l'est pas. Les Grandes chroniques de France, autre source, confondent en un même événement le traité et son volet matrimonial. Le chroniqueur Joinville n'en parle pas, car il n'évoque simplement pas le Languedoc.

Du côté des sources catalano-aragonaises, avec bien entendu l'autobiographie de Jaume Ier... "Le livre des faits", ce traité de paix se signale... par son absence ! Il y est question des prouesses du roi, notamment les conquêtes de Majorque et de Valence... or, avec ce traité, le roi aragonais acte un réel renoncement, un recul concret. C'est un échec politique.

Le roi de France entérine ses avancées en Languedoc, mais bien qu'il n'abandonne que des droits théoriques, il n'y a pas non plus de publicité au sujet de cet évènement. Chaque royaume a dès le départ considéré cet "instrument de paix" avec embarras, car chacun a renoncé à quelque chose. Suscitant un relatif désintérêt historiographique ? Ce traité n'est un objet d'études que depuis assez récemment.

Pourtant, le traité de Corbeil-Barcelone concrétise l'évolution en cours dans l'Europe occidentale au XIIIe siècle, avec le passage de la féodalité pure, à des logiques étatiques, avec des prémices de modernité. Un paysage politique fait de liens féodo-vassaliques laisse -en partie- la place à la logique de la souveraineté étatique.

Une souveraineté fixée et limitée sur un territoire, qui a des frontières bien établies.

A l'échelle de l'histoire du Languedoc, ce traité, cette paix, conclut les troubles et le processus qui, au moyen de la croisade contre les albigeois, fait entrer réellement cet espace méridional dans le royaume de France. Seul le traité des Pyrénées de 1659 modifiera à nouveau et durablement cette frontière.

Olivier de Termes fût un acteur non négligeable de ce moment historique.
Le traité de Corbeil-Barcelone, acte de paix signé en 1258.

Se heurtant aux difficultés juridiques de cette affaire entre deux royaumes, les arbitres nommés en 1255 n'arrivent pas à concilier les parties au bout de la période de un an. Après un temps mort, les négociations reprennent début 1258, et c'est le 11 mai, à Corbeil en région Parisienne qu'est signé le... "Instrumentum de pace inter Ludovicum, regem Franciœ, et Jacobum, regem  Aragonum, pacta, propter quasdam terras sibi invicem restitutas."

Ce titre en latin est une bonne occasion de valider la racine latine de la langue française, puisque nous autres novices arrivons à saisir le sens et l'objet de cette phrase ! Traduit littéralement, cela donne : "Instrument de paix entre Louis, roi de France, et Jacques, roi d'Aragon, à raison de certaines terres restituées l'une à l'autre". A retrouver par ce lien. La ratification se déroule ensuite à Barcelone le 16 juillet 1258, aussi, l'on parle du "traité de Corbeil-Barcelone".

Concrètement, les deux rois renoncent réciproquement à des droits. Des droits s'entre-mêlant, des droits qui étaient devenus bien théoriques. Aussi, le traité entérine et valide la situation réelle, à savoir la domination aragonaise au sud des Corbières et du Fenouillèdes, la domination du royaume de France au nord (hormis surtout Montpellier). La souveraineté territoriale de chacun des rois est fixée de part et d'autre d'une frontière.




Les principautés méridionales à la fin du XIIe siècle, par Rodrigue Tréton. (agrandissement par click). Les intérêts de la couronne d'Aragon au nord des Pyrénées sont manifestes.

Les même principautés méridionales à la suite du Traité de Corbeil en 1258. Carte de Rodrigue Tréton. (agrandissement par click). L'avancée du royaume de France est flagrante, aux dépends de l'Aragon.
Les deux cartes de Rodrigue TRETON, dans l'article sur le sujet daté de 2018, s'affichent ci-dessous avec un effet de superposition.
Une récompense pour la contribution d'Olivier aux négociations ayant amené au traité ?

Le sénéchal de Carcassonne donne à Olivier, le 19 juin 1258, donc au moment où le traité se signe et se ratifie, des possessions royales : à savoir le bail emphytéotique des possessions, censives et droits appartenant au roi Louis IX à Villetritouls. On ne sait quel est le revenu annuel à en tirer, mais c'est un don royal qui récompense un fidèle. Logiquement suite à une bonne action.

Olivier de Termes est donc en très bons rapports avec Louis IX... mais cela ne se fait pas aux dépens de sa relation avec Jaume Ier. Il a visiblement facilité le dialogue entre les deux rois et royaumes, sans s'en aliéner aucun. Les deux cours l'accueilleront plusieurs fois à la suite.


Situation de Villetritouls, dans le Val de Dagne, entre Termes et Carcassonne.
Dans une partie à suivre, nous pourrons, toujours au travers de ce que la vie d'Olivier de Termes apporte, nous intéresser aux suites concrètes à ce traité. Il s'agira d'évoquer le devenir des possessions d'Olivier de Termes et l'organisation des sites fortifiés surveillant la frontière.

En tant que récapitulatif, voici une chronologie sélective sur ce que nous avons évoqué ici :
De nos jours...

La frontière se trouve désormais plus au sud, plus ou moins le long de la crête des Pyrénées. Ce, suite au traité des Pyrénées en 1659, avec l'incorporation du Rousillon au royaume de France. Les diverses forteresses médiévales formant la défense à hauteur des Corbières perdent alors de leur intérêt stratégique, si elles n'ont pas déjà été abandonnées (Termes est démantelé dès 1653).

Hormis le fenouillèdes, l'actuel département des Pyrénées-Orientales occupe donc des terres qui jusqu'en 1659 étaient ratachées à la couronne d'Espagne. L'aire d'influence catalane y reste pregnante, tout comme, plus au nord, les indices identitaires occitans.

Le château de Quéribus est, comme ses homologues de Termes, Aguilar, Peyrepertuse, Puilaurens... et quelques autres, un des monuments emblématiques du tourisme patrimonial audois. Comme les autres "fils de Carcassonne", il est pour le grand public un château dit "cathare", bien qu'il faille alors préciser ce qui est sous-entendu, ce qu'il faut en retenir et comprendre (!).

Avec Peyrepertuse, Quéribus compte parmi les châteaux du bien en série de l'actuelle candidature à l'UNESCO des "châteaux sentinelles de montagne autour de la cité de Carcassonne" les plus visités. Avec donc des problématiques spécifiques quand à la gestion du monument et son inscription dans un plan de gestion assurant son développement et sa conservation.


La candidature à l'UNESCO : https://citadellesduvertige.aude.fr
Photo panoramique depuis Quéribus, avec à gauche le Fenouillèdes et le Canigou au fond. A droite, les Corbières et Peyrepertuse.  
H. Zell, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
En savoir plus :




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"Olivier de Termes, une épopée au XIIIe siècle"
Une médiation numérique. Une exposition pour l'été 2024.
Une réalisation de la mairie de Termes et de l'Association de Sauvegarde du château de Termes.
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