CHAPITRE XLIII.
(...) Comme on perdit et recouvra le faubourg de Carcassonne.
(...)
En ce même temps, Trencavel, fils de l’ancien vicomte de Béziers, de concert avec les notables seigneurs Olivier de Termes, Bernard d’Orzals, Bernard Hugues de Serrelongue, Bernard de Villeneuve, Hugues de Romegous, son neveu, et Jourdain de Saissac, envahit les terres du seigneur roi, dans les diocèses de Narbonne et de Carcassonne; même bon nombre de châteaux tournèrent à lui, Montréal, Montolieu, Saissac, Limoux, Azillan, Laurac, et tout autant qu’il en voulut, dans ce premier moment d’élan et d’effroi. De l’autre côté, entrèrent à Carcassonne les vénérables pères archevêque de Narbonne et évêque de Toulouse, plus les barons de la contrée et plusieurs clercs du pays avec leurs gens et effets, se confiant dans la sécurité que leur inspiraient également la ville et le faubourg; en effet, l’évêque de Toulouse y descendait souvent, prêchant les bourgeois, et les réconfortant et prémunissant contre la défection envers l’église et le roi qui ne souffriraient, comme ils pouvaient le savoir, que pareille chose durât longtemps. Durant ces exhortations, la ville se remplissait des moissons et des vendanges, les murs étaient fortifiés par des travaux en bois, les machines étaient dressées, on préparait tout pour le combat. Cependant quelques gens du faubourg se rendirent secrètement avec les ennemis, s’offrant à les y introduire. En même temps le comte de Toulouse revenait de la Camargue qu’il avait dévastée, et a son arrivée à Penautier, près de Carcassonne, il y fut joint par le sénéchal du roi, qui sortit pour l’interpeller de chasser du pays les ennemis dudit seigneur roi. Sur sa réponse qu’à ce sujet il tiendrait conseil à Toulouse, chacun retourna chez soi.
Peu de jours après, l’évêque de Toulouse, dont la langue gracieuse avait toute efficacité pour adoucir les haines, descendit avec le sénéchal dans le faubourg, réunit les bourgeois et le peuple dans l’église de la bienheureuse Marie, et là, sur l’autel de la Vierge glorieuse, il les lia tous par serment, sur le corps du Christ, les reliques des saints et les très sacrés Évangiles, à tenir pour l’église, le roi, ceux qui étaient dans la ville, et à les défendre. Pub, le jour suivant, fête de la Nativité de la bienheureuse Marie, ayant reçu des lettres du roi par le même envoyé que les bourgeois lui avaient député, les prélats et notables seigneurs, enfermés dans la ville, les montrèrent avec un grand appareil de joie.
Mais, dans la nuit même, il arriva que les ennemis du roi et de l’église furent introduits dans le faubourg et accueillis nonobstant les serments; même il en fut prêté alors de tout contraires. Nombre de clercs qui se trouvaient dans le faubourg se réfugièrent dans l’église, lesquels, bien qu’ils eussent reçu du prince lui-même et sous la garantie de son seing, licence d’aller vers Narbonne avec promesse de sûreté, furent, à leur sortie, assaillis par ces réprouvés et égorgés traîtreusement au nombre de trente, outre ceux qui, en plus grande quantité, furent tués près de la porte. Ensuite, se prenant à miner à l’instar des taupes, les assiégeants s’efforcèrent de pénétrer dans la ville; mais les nôtres ayant marché à leur rencontre, pareillement sous terre, les forcèrent, par blessures, fumée et chaux vive, à abandonner ce travail. Je n’omettrai pas de rapporter que Bernard Arnaud, Guillaume le Fort et les autres seigneurs du château de Penautier, bien que le jour précédent ils eussent juré au sénéchal qu’ils viendraient à lui pour défendre la ville, le lendemain désavouèrent leur promesse et se joignirent aux ennemis, aveuglés qu’ils étaient par leur propre malice, comme méchantes gens qu’ils étaient, ne voyant pas ce que leur fidélité aurait pu leur valoir ni ce que leur trahison pourrait leur coûter.
Dans la première attaque, les assiégeants, ayant pris un moulin défendu par une vieille et mince palissade, tuèrent les jeunes gens qui s’y trouvaient. Durant le siège, le combat eut toujours lieu de très près et avec d’autant plus de danger que les maisons du faubourg étaient presque attenantes à la ville, en sorte que les ennemis pouvaient, à couvert, lui faire beaucoup de mal avec leurs balistes et ouvrir des mines sans qu’on s’en aperçût. Au demeurant, ils étaient traités de la même manière à grands coups de pierres et de machines.
On combattit ainsi environ un mois, après quoi, des secours arrivant de France, les ennemis n’osèrent les attendre, et, ayant mis le feu en plu sieurs endroits du faubourg, ils l’abandonnèrent aux Français, pour se retirer à l’instant dans Montréal, où ils furent à leur tour assiégés par l’armée qui les y avait suivis. Là, après qu’on se fut battu pendant nombre de jours, les comtes de Toulouse et de Foix arrivèrent enfin, parlèrent de paix, et les assiégés, sortant du château avec armures et montures, l’abandonnèrent ainsi que les habitants. Déjà la saison était si rigoureuse qu’il eût été dangereux pour l’armée d’hiverner en tel endroit.
--
Extrait de la ressource en lien : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/guillaume/albigeois.htm